Dans l’oeil de la journaliste Faida Weregemere: l’exposition “Beauté Congo 1926-2015 Congo Kitoko”.
France. Ce qui se passe à cette exposition «Beauté Congo 1926-2015 Congo Kitoko» est vraiment «Ata ndele mokili ekobaluka *» comme le dit l’intitulé d’une des œuvres exposées. Avec cette exposition à Paris par la Fondation Cartier, cette institution des valeurs du luxe fait bouger les lignes dans la diaspora africaine dans un bon nombre des européens, en France, en Suisse, en République Démocratique du Congo (RDC), au Japon, au Congo-Brazzaville, dans certains pays du Moyen Orient, en Belgique, en Chine, au Canada, au Cameroun, en Argentine, aux USA selon quelques journalistes qui ont été en contact avec le Magazine Ngambo Na Ngambo (Rédaction en chef): un monde change et des magnifiques œuvres de ces artistes du Congo exposées dans ces murs connus mondialement de la Fondation Cartier pour l’art contemporain. La journaliste Faida Weregemere a fait deux visites (9 et 11 juillet 2015) et son oeil a vu.
Congo Kitoko : 1926-2015. Retour sur 90 ans d’art populaire en RDC
L’exposition qui se tient à la fondation Cartier à Paris jusqu’au 15 novembre 2015, offre aux amateurs de l’art contemporain une palette d’œuvres variées représentant des périodes décisives dans l’univers de l’art contemporain au Congo (RDC), couvrant presque un siècle. Acrylique, aquarelles, dessins variés, collages, séries photographiques, compositions, sculptures ou maquettes rien ne laissent indifférent le visiteur.
Émotions autour d’un trait. C’est dès les années 20, au siècle dernier que commence à s’épanouir l’expression des artistes congolais dans l’art moderne, il nous reste comme témoignages de cette époque les œuvres fragiles pleines d’émotions du couple Albert et Antoinette Lubaki ; et Djilatendo, de son vrai nom Tschyela Ntendu. Leurs aquarelles nous plongent dans un quotidien où la réalité de la présence coloniale se superpose à la nature, le tout baigné dans un univers de contes et légendes.
Il faut souligner que ces précurseurs étaient avant tout sculpteurs d’ivoire et par ailleurs peignaient les murs des cases et maisons suivant des thèmes tirés de l’imaginaire collectif, c’est de la transposition des motifs de ces fresques sur papier que tout est parti. L’idée de ce nouvel apport vient d’un administratif colonial belge Georges Thiry, lui-même quelque peu artiste, qui séduit par ces traits si poignants décide de fournir aux artistes concernés le matériel nécessaire.
Il s’en suit dès 1929 des expositions prestigieuses à Bruxelles, puis à Genève en 1930 et à Paris en 1931, à Rome, pourtant l’engouement autour des artistes sera de courte durée beaucoup étant sceptiques quant à l’authenticité de ces œuvres. Les « Lubaki », selon eux, ne seraient que le fait d’un Européen habile…La vérité est certes rétablie en exposant photos et courriers des intéressés. Mais les mécènes attitrés à savoir Gaston-Denys Périer et Georges Thiry se brouillent, il n’est plus question d’exposition. Et après 1941 plus aucun matériel pour peindre ne sera envoyé aux artistes.
Ateliers et écoles d’art. Puis vient le temps des ateliers, tel l’atelier du Hangar à Lubumbashi, appelée à l’époque Elisabethville, créé en 1946 par un Français Pierre Romain Desfossés plus tard intégré après 54 dans l’Académie des Beaux-Arts, fondée depuis peu. Ainsi des peintres tels que Bela Sara, originaire du Tchad, Sylvestre Kaballa, Pilipili Mulongoy et ses teintes vives, Mwenze Kibwanga qui déclinent ses toiles en beige, ocre et brun tout en hachant ses personnages. Leurs peintures sont présentées dans différentes expositions à Bruxelles, Paris, Rome et Londres, et même aux États-Unis. Ils assureront plus tard la relève comme professeurs aux Beaux-Arts.
La suite sera du même acabit, avec les œuvres de Jean Bosco Kamba, Joseph Kabongo, Mode Muntu, Floribert Mwembia pour ne citer que ceux-là. Plusieurs de ces artistes seront au Kursaal d’Ostende(ville provinciale belge) en 1956, puis à l’Exposition Universelle de Bruxelles en 1958.
Du coté de Kinshasa ou plutôt de Léopoldville comme on disait à l’époque, l’école des Beaux-Arts voit le jour dès 1943, devenue l’Académie des Beaux-Arts, elle forme des artiste tels que Alfred Liyolo, Roger Botembe Mimbayi ou autre Lema Kusa qui sont perçus comme incontournables dans le milieu des arts au Congo.
Plus récemment, une autre génération d’artistes avec notamment Kura Shomali, Pathy Tshindele et Mega Mingiedi Tunga du collectif Eza Possible, Kiripi Katembo, Steve Bandoma, Sammy Baloji ; ou encore Jean Paul Mika libère sa créativité dans plusieurs projets personnels développés ces dernières années.
Les jours et les nuits de Kinshasa
Autre parcours de ” Beauté Congo 1926-2015 Congo Kitoko”, deux photographes d’origine angolaise, fuyant la guerre du colonialisme portugais, Jean Lemvu dit Jean Whisekys Depara ou pour faire court Jean Depara et Ambroise Ngaimoko, nous relatent 30 ans de vie kinoise, 1950-1980, au travers des portraits divers et variés.
Ngaimoko, son travail se passe généralement en studio. Il concerne le Kinois ordinaire désireux de fixer sur pellicule, un moment avec ses enfants en famille ou avec des amis.
Depara, c’est une autre histoire. Il s’est littéralement plongé dans le monde de la musique en suivant à la trace le guitariste-chanteur célèbre Franco Luambo à ses débuts et l’orchestre OK Jazz, dans les nuits chaudes rythmées par la rumba congolaise. Des nuits où se croisent les noceurs de tous bords. Et les jours semblent plus acrobatiques avec les sportifs exposant leurs corps musclés et un chouïa risqués avec ces “Bills” (noms donnés à ces groupuscules des gens qui incarnaient à leurs manières des héros des westerns américains.Certains avaient une bonne réputation et d’autres étaient des petits caïds pas très recommandables, qui zonent).
L’art dit populaire envahit les villes. Dès le début des années 70, on peut croiser à tous les coins de rue des villes congolaises notamment à Kinshasa, des artistes peignant à l’extérieur. Parmi les plus connus, on peut citer, Monsegwo Kejwamfi dit Moke. Comme beaucoup de jeunes, il est sans grande qualification mais la tête pleine de rêves, quand il débarque à Kin (appellation intime de l’actuelle ville de Kinshasa), dans les années 60, venant de sa province natale.
Moke donc commence à dessiner sur des cartons et observe autour de lui tous ces artistes dit naïfs qui ont une vivacité sans précédent. On les rencontre partout à Kinshasa. Les rues grouillantes sont quasiment une sorte de galerie permanente. Les façades des petits commerces et des ateliers d’artisans sont recouvertes de peintures illustrées en guise de réclames. Alors que sa situation est plutôt désastreuse, il a même des idées suicidaires, il reçoit une bourse du chef d’État Mobutu en 1965. Ce qui lui permet de continuer à peindre.
Peu de temps après il rencontre Pierre Haffner le nouveau directeur du Centre culturel français à Kinshasa. Les retombées de cette rencontre font véritablement décoller sa carrière, les expositions se succèdent; il est présent au festival Horizonte 79 à Berlin. Il commence à se faire un nom.
Sa peinture égrène les scènes de la vie kinoise, le jour comme la nuit, le tout sous un angle quelque peu ironique et critique. Les légendes urbaines ou les légendes tout court sont aussi omniprésentes : ” mamiwata ” et autres ne sont jamais bien loin.
Un nouveau venu, Samba wa Mbimba Nzingo Nuni Masi Ndo Mbasi; c’est l’époque des noms à rallonge plein de sens en termes des valeurs ancestrales du pays , plus connu sous le nom de Chéri Samba, saura tirer partie de ce tournant, en travaillant, dans l’atelier de Moke, dans un premier temps avant de s’installer à son propre compte. Les commandes affluent, les expositions s’enchainent et d’autres artistes tels que Chéri Chérin, Pierre Bodo sont aussi du mouvement.
Chacun imprime à cet art populaire sa touche personnelle, le grand évènement dans le milieu de l’art populaire congolais de ces années-là reste l’exposition “Art partout ” (1978) à l’académie des Beaux-Arts de Kinshasa. Les préjugés volent en éclats. C’est fini l’époque où l’on portait un regard condescendent, un rien méprisant sur cet art que certains qualifiaient de gribouillis.
Les décennies passent voyant défiler des générations de peintres populaires tels que Monsengo Shula et Cheik Ledy, qui se forment l’un chez Moke, l’autre auprès de Chéri Samba au milieu des années 70. Au fil des ans, les artistes affinent leurs critiques sociétales et politiques, par allusions ou franchement parfois même crument, fustigeant toutes sortes de dérèglements ou ce qu’ils considèrent comme tels.
Ce qui nous amène à JP Mika, dont la peinture ” Kiese na kiese ” (1) est repris sur les affiches de l’exposition Beauté Congo. Tous les personnages représentés illuminent de joies, le monde et l’avenir sont à leurs pieds. Comme qui diraient les Kinois(appellations des habitants de Kinshasa) : « chance eloko pamba »(2). Les couleurs vives sur les toiles ajoutent la note finale à ce refus de la fatalité.
De même Monsengo Shula qui fait sien un refrain qui façonne l’imaginaire collectif congolais, lui-même tiré de la célèbre chanson du musicien Adou Elenga intitulée “Ata ndele mokili eko baluka “(3). Un refrain repris un peu comme un hymne à l’espoir, à un futur rayonnant, faisant un pied de nez à la misère et aux malheurs du quotidien congolais.
Pour rappel
La RDC est un immense pays aux multiples richesses, un peu comme tous les pays africains, qui depuis plus de deux décennies; connait une succession de guerres, de pillages, de massacres en tous genres. Les chiffres donnent le tournis, plus de 6 millions de morts, plus de 500 000 femmes violées, plus d’un million de Congolais déplacés vivants à l’intérieur du Congo dans le dénuement. Rien qu’à Kinshasa, les ONG dénombrent plus de 20 000 enfants des rues. Pour ce qui est des populations des pays limitrophes fuyant les guerres ou les violences, il faut compter en centaines de milliers (Notes de Rédaction en chef, en 1994, le président Mobutu évoque l’arrivée de plus de 2 millions de réfugiés rwandais en 48H sur le territoire du pays, dans un document télévisé qui est dans nos archives).
Par ailleurs c’est un pays où tout est à construire ou à reconstruire selon les cas, avec une croissance qui tutoie, presque, les deux chiffres.
Créations diverses
Pour aller vite, citons trois noms parmi tous ces artistes, Steve Bandoma, Sammy Baloji et Kiripi Katembo, et leurs séries respectives. Celle de Steve Bandoma,”Cassius Clay” est une création faite de collage, de projection de peinture et de dessin, qui suggère une explosion, le chaos et néanmoins forme un tout reflétant une certaine esthétique, qui fascine et rebute.
Sammy Baloji avec sa série « mémoire » sur les villes katangaises et les lieux qui renvoient à l’histoire de l’exploitation du cuivre, et du passé coloniale procède à des photomontages d’images, de photos d’archives et d’aquarelles. L’ensemble saisissant renvoie à un passé pas si lointain mais déjà occulté et dont les conséquences nous hantent encore de nos jours.
Kiripi Katembo, quant à lui, peintre qui s’est tourné vers la vidéo, la réalisation des documentaires et la photo, avec sa série ” Un regard “, nous donne à voir le reflet de Kinshasa, ville assez souvent inondée par des pluies diluviennes, grâce à ses flaques d’eau charriant toutes sortes de détritus. Ces flaques sont un peu les yeux, le reflet étant le regard de Kinshasa sur elle-même, nous offrant une image d’elle, sale, repoussante, dangereuse et pourtant belle et attirante.
Rencontres et découvertes
La Fondation Cartier avec le commissaire général André Magnin essaye de restituer autour de l’exposition l’univers, du moins en partie dans lequel ces œuvres sont produites. La musique (Rumba congolaise) étant omniprésente au Congo, le parcours met à disposition des espaces où l’on peut retrouver les morceaux choisis qui pourraient coller avec certaines œuvres, cette immersion découverte ou redécouverte continue dehors dans le labyrinthe.
Dans ce même ordre d’idée des concerts, des rencontres sont prévus tout le temps de l’exposition qui a débuté le 11 juillet, se clôture le 15 novembre 2015.
L’intérêt que l’on observe des dernières années pour l’art contemporain africain et plus précisément ces œuvres venant du Congo, semble indiquer que le marché de l’art se tourne plus largement enfin vers les artistes congolais, et de façon plus générale vers les artistes africains.
Faïda Weregemere/Rédaction de France.
Photo, Paris 9 juillet 2015, vernissage à Fondation Cartier pour l’art contemporain: copyright Magazine Ngambo Na Ngambo.
Illustration: affiche droits réservés JP Mika/ Exposition “Beauté Congo 1926-2015 Congo Kitoko”, Fondation Cartier.
(1) En langue Lingala: “La joie de vivre”.
(2) “La chance est peu de chose”.
(3),(*) “Tôt ou tard le monde changera”.
Mots-clefs : "Beauté Congo 1926-2015 Congo Kitoko", expositon